Jim Lee interview
Une journée avec Jim Lee

Le 13 et 14 avril 2018 Album Comics célébrait ses 20 ans sur le boulevard Saint-Germain. Afin de fêter ces vingt piges nous décidâmes d’inviter le très célèbre Jim Lee pour une petite séance de dédicace. Séjour de deux jours bien remplis. Lorsque j’ai appris la nouvelle, j’ai tout de suite proposé de faire une interview de l’artiste, cependant, soyons honnête, j’étais un peu stressé à cette idée, mais il fallait prendre le taureau par les cornes et foncer. J’ai donc foncé et ce fut une interview très intéressante que je vous livre maintenant.

Après de nombreuses pérégrinations et de petits problèmes techniques, Jim Lee arriva le vendredi 13 (sûrement la cause des problèmes) avec un peu de retard, ce qui repoussa l’interview au lendemain. Le 14, aux alentours de midi, je me dirigeai au sous-sol du 8 de la rue Dante, l’antique cave où l’aventure d’Album Comics commença il y a presque trois décades. Après plusieurs clopes et avoir préparé les fascicules qu’il devait signer, oui, les fameux feuillets que vous avez pu vous procurer au magasin, Jim arriva accompagné de Julien. Le long d’une très longue table remplie du tirage spécial d’Action comics #1000, Jim Lee tour Edition, j’engageai la conversation avec le père des WildC.A.T.s. J’avais l’impression d’être aux côtés de Charlie Chaplin dans les Temps modernes (1936) : le travail à la chaîne dans le monde du comics. Julien enlevait au fur et à mesure les livres signés pour en mettre de nouveaux. Jim, stylo en main, les signait aussi rapidement que Flash. Et moi à ses côtés, je l’embêtais avec mes questions.

Attachez vos ceintures ! Attention aux Daemonites ! Préparez-vous à voyager aux côtés de Batman, Superman et à visiter le panthéon de super-héros dessinés par le grand Jim Lee.

Batman Hush, Jim Lee

Légendes et indépendance

 

Au cours de votre carrière, vous vous êtes attaqué à des légendes, Batman, les X-men… était-ce impressionnant au début ?

Oui, c’était très intimidant au début car j’adorais les X-Men. Batman et Superman étant des icônes dans le monde de la bande-dessinée, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à tous les artistes ayant travaillé sur ces personnages avant moi. D’un côté l’on veut honorer le passé et en même temps il faut être courageux et imposer sa pierre à l’édifice.

 

   Vous faites partie des architectes d’Image comics, vous avez créé votre propre studio, Wilstorm, était-ce important d’avoir votre propre lieu de travail, d’être indépendant ?

Image comics a été créé en partie pour que nous puissions avoir la propriété intellectuelle de nos créations. En agrandissant mon univers fictionnel et les personnages s’y trouvant, il devenait impératif de posséder mon studio afin de pouvoir travailler dans des conditions optimales et d’engager de nouveaux artistes pour pouvoir développer cet univers. Cela m’a ainsi permis d’engager de jeunes artistes afin de les former. Ce fut une expérience incroyable et très satisfaisante.

Corps Rebelles

Quelle est votre approche pour la création des personnages ?

Je fais d’abord un dessin général, le plan avec toutes les figures pour avoir une bonne composition de la page. Je m’attaque ensuite plus en détail aux personnages pour enfin me consacrer aux décors. Il m’arrive de temps en temps de dessiner la première case, puis la deuxième et ainsi de suite. Il n’y a pas vraiment de règles, de façon pré-établie, pour l’organisation du dessin mais, en dessinant d’abord les personnages et ensuite les décors, je consacre plus de temps aux corps, ce qui est le plus important selon moi. Si j’arrive à être à court de temps et d’énergie, j’aurais quand même réalisé la partie la plus importante du dessin.

WildC.A.T.s, Jim Lee

Parmi vos créations l’on trouve beaucoup de rebelles, de rejets de la société comme Grifter, Voodoo, la plupart des Wildcats… qu’est-ce qui vous attire dans ce type de personnage ?

J’aime les personnages brisés, ceux qui deviennent des héros mais qui ne le sont pas forcément au départ. Ils doivent travailler, vaincre leurs peurs et les défis imposés par leur vie. En surmontant tout cela, ils deviennent des héros. Ils ne sont pas nés ainsi, mais ils ont dû se construire afin d’être ce qu’ils sont maintenant. Après un long travail ils deviennent des héros. Que ce soit au niveau plastique ou thématique, je trouve cela beaucoup plus intéressant qu’un personnage ayant des pouvoirs et se disant : « Ok ! je vais combattre le crime. »

 

L’une des premières choses que l’on peut remarquer dans vos dessins sont les corps imposants et musclés de vos personnages. Que représentent-ils pour vous ?

Pour moi ce sont des histoires mettant en scène des versions idéalisées de l’être humain, que ce soit des hommes ou des femmes.

 

C’est aussi l’une des choses que j’ai remarqué, vous montrez autant les corps féminins que masculins. Est-ce un souci d’égalité ? Pensez-vous à toutes les catégories du public ?

    Oui, je sais, cher lecteur, je fis preuve d’une impolitesse flagrante, couper aussi abruptement la parole de Jim Lee. Mais que voulez-vous, j’étais un petit garçon parlant à un héros. Soyez donc assez gentil de me pardonner. Mais le voici qui reprend :

Je pense, oui. Maintenant j’essaie de dessiner d’autres types de corps. Je pense que la façon traditionnelle de dessiner les super-héros est d’idéaliser les corps féminins et masculins. Mais de nos jours le marché et les pensées changent : il y a de plus en plus de diversité. Prenons par exemple un livre comme Immortel Men qui vient de sortir : l’un des personnages, Timber, est une femme au corps plus large. Il y a de plus en plus de diversité de nos jours.

 

   Avez-vous fait beaucoup de recherches en anatomie ?

Lorsque l’on rentre pour la première fois dans l’univers de la bande-dessinée, nous nous concentrons beaucoup sur un dessin fidèle à la réalité et, une fois que l’on sait comment… dessiner, en quelque sorte, à ce moment-là on peut penser à exagérer les formes, à se démarquer et faire quelque chose de différent. La première étape est de dessiner correctement, la seconde consiste à apprendre ce que l’ont peut exagérer et personnaliser afin de s’approprier une création.

X-men, Jim Lee

Dessinons !

Dessin manuel contre dessin numérique… qu’est-ce que le procédé numérique apporte à votre travail ?

Je n’utilise pas beaucoup le numérique, je dessine tout sur du papier. J’effectue juste des corrections par le biais du numérique, après l’encrage et la colorisation, lorsqu’un détail est différent ou mauvais : une tête peut avoir l’air trop petite, un œil mal encré par rapport à ce que je pensais… Dans ces cas j’effectuerai une correction digitale. Parfois je fais des sketchs de costumes et je les colorise numériquement car le procédé est plus rapide et je peux faire des variantes. Mais je préfère dessiner avec des crayons et du papier. Quant à Scott Williams, l’encreur, il encre encore directement par-dessus les crayonnés sur la planche originale. Nous n’avons ainsi qu’un original. Je reste de la vieille école pour cela.

Il y a beaucoup de détails dans vos dessins, que ce soit chez les personnages ou dans le décor. Essayez-vous de rendre l’environnement, l’histoire réelle, palpable ?

En grandissant, l’un de mes artistes préférés était Neal Adams. J’aime beaucoup la sensation de réalité émanant de son travail. Nous avons presque l’impression d’être face à une photographie. Lorsque je dessine une scène, je veux que le lecteur ressente une impression de réalité, qu’il ait l’impression que tout se passe réellement devant lui, et cela passe par les détails, l’environnement dans lequel se déroule l’action. On peut presque être dans la case et penser que, si l’on se retourne, on pourra voir d’autres détails. Je veux qu’il y ait une impression d’immersion, que ce soit une expérience à 360 degrés, alors que je ne montre que 180 degrés.

 

Il y a aussi beaucoup de mouvement, c’est un dessin très dynamique.

Les deux choses sur lesquelles je me concentre sont les détails et le dynamisme du mouvement. Les super-héros sont principalement basés sur le travail de Jack Kirby, dont le dessin était force, puissance. Beaucoup de gens se concentrent soit sur cette puissance, soit sur le réalisme. Pour ma part, j’essaie de combiner les deux.

 

Quel rôle joue le cadre dans votre dessin ?

Je ne m’attarde pas trop sur cette question. Je veux que l’on ressente ce qui se passe dans le cadre avant toute chose, il est donc rare que je m’attarde sur le cadre. Je le fais de temps en temps, lorsque, par exemple, une scène demande quelque chose de plus symétrique ou une succession de petites cases. Mais je ne fais jamais quelque chose comme The Dark Knight Returns, où Frank avait une utilisation particulière des petites et grandes cases. Je pense que cela est plus facile à faire lorsque l’on écrit ses propres histoires. J’essaie d’être fidèle à la vision du scénariste et au nombre de cases qu’il demande.

Milestones

Parlons maintenant un peu du fameux Action Comics #1000. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?

Je n’y avais jamais vraiment penser avant que l’on réalise au sein de DC Comics, il y a environ un an et demi, que l’on allait bientôt atteindre ce numéro majeur.  Nous avions un peu perdu le fil à cause des nombreux changements de numérotation qu’a subi le titre. C’est en le ramenant à sa numérotation initiale que nous nous sommes rendus compte que l’on allait atteindre le millième numéro. C’est vraiment incroyable d’être présent pour cela et de participer au renouvellement de la mythologie de Superman. C’est un moment historique et je suis content d’en faire partie pour célébrer sa quatre-vingtième année.

 

Action Comics #1000, Jim Lee

La préparation a dû être un vrai casse-tête ?

Comme n’importe quel autre titre. Le défi était de créer quelque chose qui ne serait pas qu’une célébration. Est-ce possible d’aller plus loin et d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire de Superman ? C’est ce qu’est parvenu à faire Brian Michael Bendis. Nous ne voulions pas créer un numéro qui serait vite oublié, mais plutôt le premier d’une nouvelle aventure, d’une nouvelle direction. Je suis vraiment heureux et honoré d’avoir illustré cette histoire qui ouvre un nouveau départ pour Superman.

 

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur Rogal Zaar, le nouveau vilain ?

Rogal Zaar est un vilain sur lequel j’ai collaboré avec Brian Michael Bendis. Il débloque un passé que même Superman ne connaissait pas. Cela est un très bon moyen de défier une mythologie en révélant aux fans du personnage qu’ils ne connaissent peut-être pas tout de leur héros favori. C’est un nouveau mystère, une nouvelle histoire qui dévoile quelque chose d’inconnu et de neuf sur Superman.

WildC.A.T.s, Jim Lee

Time to relax !

Quel est le personnage que vous préférez dessiner et le pire ?

J’aime beaucoup dessiner Batman ou Wolverine. Batman est toujours entouré d’obscurité, ce qui offre ainsi une possibilité dramatique intéressante. Wolverine, parce que c’est un personnage féroce, ce qui rend la création situationnelle et les poses vraiment sympas. Il n’y a pas vraiment de personnages difficiles à dessiner, certains prennent plus de temps que d’autres comme, par exemple, Spider-man et Aquaman avec les nombreux détails les entourant, que ce soit les écailles qui constituent le costume d’Aquaman ou le réseau de toile entourant le personnage de Spider-man. Si l’on ne fait qu’une couverture ou une image, cela ne pose pas énormément de problèmes mais, lorsque l’on doit les reproduire dans chaque case, il faut le faire et le refaire, ce qui demande énormément d’effort et de temps. Du moins pour moi, d’autres artistes ont certes plus de facilité.

 

Quel a été le moment le plus marquant de votre carrière ?

J’espère que cela reste à venir. J’ai eu la chance de participer à beaucoup de super projets et Action Comics #1000 se trouve bien entendu parmi les plus marquants. Je travaille aussi sur Batman #50 avec Tom King, et il y a bien évidemment Detective Comics #1000 qui n’est pas loin. Il y a aussi d’autres histoires et projets mais qui n’ont toujours pas été annoncés donc… Je pense qu’il est toujours bon d’avoir des projets pour le futur afin de se motiver et d’être toujours poussé vers l’avant.

 

Quel est votre histoire préférée ?

Pour Superman, j’adore Superman vs Mohammed Ali. Sur Batman, je dirais The Dark Knight Returns. Cela dépend du personnage… J’ai adoré 300, tout ce qu’a réalisé Frank Miller, en fait.

Et voilà ! La plupart de mes questions avaient été posées, mais Gauthier, arrivé en plein milieu de la discussion pour nous aider, en avait une en stock : Si vous n’aviez pas dessiné, qu’auriez-vous fait ?

Je pense que j’aurais été médecin. C’est dur d’imaginer cette possibilité. Lorsque je me suis lancé dans le dessin, je pensais que c’était le bon moment, que c’était ce qu’il fallait que je fasse. Il ne faut pas penser aux échecs. Je ne sais pas, je pense que j’aurais peut-être été médecin.

Et comme disait Julien ce jour-là : CLAP ! c’est fini. Les livres ont été signés. Jim avait le ventre vide. Nous nous sommes donc séparés, comme nous devons le faire maintenant, chers lecteurs. J’espère que cette interview vous a plu et je souhaite que nos chemins se croiseront bientôt pour explorer l’univers de la bande-dessinée.

 

    Ne capitulez pas, n’arrêtez jamais de lire, les enfants !

Propos recueillis et traduits de l’anglais par Aurélien Banabéra.

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