COMICS
WHEN IN PARIS, ENTRETIEN AVEC TIM SALE

Avant toute chose j’aimerais partager la petite histoire se cachant derrière cette interview. Il y a évidemment toujours une histoire rocambolesque derrière mes entretiens ! Nous sommes fin octobre 2017 (et oui, cette traduction souffre d’un petit retard). Album décida de m’envoyer à la Comic-Con de Paris. J’étais bien entendu super heureux d’y aller : voici une superbe occasion de rencontrer les artistes que j’affectionne.
La veille de l’événement, je discutais en boutique avec Julien qui me proposa de venir dîner avec lui et Olivier Jalabert, l’ancien directeur d’Album Comics. A ce dîner devait se trouver Tim Sale. Sans réfléchir je me jetai à l’eau et acceptai l’invitation.
Me voici parti pour un repas au milieu duquel je m’imposais. Arrivant sur place je me suis vite rendu compte que c’était un repas privé, entre amis, en famille. Pas de souci, calme-toi, Aurélien ! Je suis resté silencieux pendant la majeure partie du dîner et Olivier vint à mon secours et demanda à Tim Sale si cela le dérangeait que je vienne lui poser des questions le lendemain, à la Comic-Con. Il accepta la proposition. Ouf ! Je peux enfin respirer. Petit détail important: je n’avais préparé aucune question.
Peu importe, je suis jeune, il faut foncer !
Après une dernière bière avec Julien, je retournai chez moi vers 1h du matin afin de me pencher sur les questions que je mourrais d’envie de poser à Tim Sa le. Je n’ai évidemment pas beaucoup dormi mais j’étais prêt à affronter l’épreuve.
Le lendemain matin, le cerveau un peu ramolli par la fatigue, mais les questions en poche, je me dirige vers La Villette, où se déroulait l’événement.
Bon, allez ! J’arrête de vous embêter avec mes petites considérations personnelles et vais enfin m’attaquer au vif du sujet.
En début d’après-midi je rencontrai enfin Tim Sale. Après avoir tourné en rond pour trouver un endroit calme, nous avons fini debout sur un balcon dominant les festivités. Oui, je sais, ce n’est certainement pas le meilleur endroit pour une interview, mais à la guerre comme à la guerre.
La conversation commence, Daredevil, Batman et tant d’autres de vos héros préférés
s’invitèrent à la conversation.

Premiers pas

Comment avez-vous commencé le comic et pourquoi avoir choisi cet art ?

Je suis tombé amoureux de la bande-dessinée très tôt. J’ai appris à lire avec le comic et je m’y suis sérieusement mis lors de mes 13 ans. Je me rappelle avoir éprouvé une sensation d’addiction.
C’était les années 1960, Marvel était en train de changer la façon de créer les comics, l’art était vraiment mieux. J’ai toujours été attiré par l’art : Kirby, Buscema, Steranko… Ma passion ne s’est jamais tarie. En grandissant je me suis de plus en plus mis à suivre les illustrations pour aider mon travail : composer ou trouver une nouvelle façon de penser la création. Mais je n’ai jamais cherché à m’accaparer les
représentations.

Vous avez un style reconnaissable. Comment l’avez-vous travaillé, cela a-t- il pris beaucoup de
temps ?

Oui, bien sûr ! Je ne pense pas avoir un style reconnaissable. Evidemment l’on peut reconnaître ma patte, cela est intrinsèque si l’on dessine : les gens peuvent en effet reconnaître un dessin et surtout lorsque l’on s’améliore et l’on raffine sa technique. Les dessinateurs que j’admire, comme Steranko, Kirby, Buscema ou Barry Smith… il est possible de les reconnaître à des kilomètres, mais je ne pense pas que cela s’applique à mon dessin. Je n’ai, par exemple, pas influencé d’autres personnes, contrairement à ces artistes. Mon travail est beaucoup plus personnel, je pense. La première chose que
les gens notent sur mon travail est l’utilisation des ombres. De nos jours il n’y a pas beaucoup de dessinateurs qui le font. Lee Weeks a des ombres magnifiques et nous sommes tous les deux influencés par Alex Toth. C’est la seule chose que les gens mentionnent à propos de mon travail, alors qu’il y a beaucoup d’autres composantes importantes comme, par exemple, la façon de raconter une histoire
avec les images, le style….

Le couple Tim Sale, Jeph Loeb

A propos des ombres (oups ! une personne de plus voulant parler des ombres de Tim Sale), la première fois que j’ai lu The Long Halloween, cela m’a fait penser à l’expressionnisme allemand, comme Nosferatu ou Doctor Caligari…

Je pense à mon dessin comme inscrit dans la mouvance expressionniste. Je m’inspire des cartoons, de l’expressionnisme allemand mais aussi du film noir et de toutes formes de création de drame par le contraste. Cela peut être des contrastes de taille, de couleur, de luminosité, de beauté…
J’aime beaucoup faire cela…. Cela n’a pas très bien marché pour Spider-Man car il était de taille normale, mais ce fut parfait pour Hulk et bien entendu Batman, avec sa cape qui pouvait être grande ou petite. Dans Batman et Robin, Robin était tout petit comparé à un gigantesque Batman. J’aime beaucoup travailler ce genre de contraste. Il y a des gens comme Chuck Jones, des gens venant de l’animation, qui travaillent beaucoup l’expressionnisme. Lorsque, par exemple, Elmer tire sur Daffy Duck, sa tête se met à tourner. C’est jouer avec la réalité afin de montrer quelque chose de pertinent.

Les traits sont très fins mais les personnages sont gigantesques. Il y a un contraste…

Oui, un contraste. J’aime beaucoup les encreurs qui travaillent de cette façon. La première fois que j’ai vu l’artiste espagnol Ruben Pellejero, j’ai été attiré par cette façon de dessiner. Il fait maintenant une bande-dessinée sur Corto Maltese. Il y a des contrastes entre le noir et les traits fins… Il travaille aussi de cette façon avec les lieux, certains d’entre eux sont presque vides et d’autres remplis de détails, particulièrement sur les arrières-plans. Il est toujours possible de connaître l’environnement
où se situe l’action : les jungles indiennes, la Grèce… Il est important de reconnaître ces lieux car cela fait partie de l’histoire. J’ai vraiment beaucoup appris à partir de cette façon de dessiner.

Cut

Je tiens à m’excuser cher lecteur, il y a eu pas mal de coupures à ce moment. J’ai fait du mieux que j’ai pu afin de récupérer le son et recoller les pièces. Il n’y avait heureusement pas grand-chose de perdu.

Collage

Dans votre Batman, le fond est souvent obscur, totalement noir, avec un seul motif contrairement à Daredevil Yellow où il y a beaucoup de détails…

Eh bien, il y a aussi beaucoup de détails dans Batman, les ombres sont en rapport avec le personnage, qui est sombre. La plupart des histoires se passent la nuit, il ne porte le costume que la nuit et nous ne parlons pas beaucoup de Bruce Wayne dans nos histoires… Dans la plupart des scénarios écrits par Jeph Loeb il y a une figure père/fils qui est très importante et intrinsèque aux personnages, si ce n’est pas le cas, il y a une histoire d’amour, une relation homme/femme. Je sais que, lorsque nous avons commencé Daredevil, Jeph voulait faire quelque chose de plus léger, du coup Daredevil
s’amusait vraiment avec ses supers pouvoirs. J’ai essayé de l’exprimer à travers le dessin, à travers son langage corporel lorsqu’il saute d’immeuble en immeuble.

Oui, effectivement, il danse presque…

Oui, tout allait être différent, même si cela se passait la nuit. Malgré le fait que la pénombre recouvre la ville, il y a une certaine légèreté, une certaine gaieté dans l’histoire. Cette histoire repose sur la relation amoureuse, l’amitié et le triangle amoureux. C’est en fait presque une histoire amoureuse avec des super-héros. La ville fait en effet partie intégrante du triangle amoureux…

Oui ! Lorsque j’ai lu pour la première fois The Long Halloween, j’ai pensé que l’oeuvre était cinématographique. Il y a beaucoup de mouvement, vous jouez avec le cadre, les cases…

L’avez-vous pensé comme une entité en mouvement ?

Pas plus que pour d’autres choses, mais l’idée a toujours été dans ma tête. De plus Jeph vient de la télévision et du cinéma. Lorsque nous avons commencé à travailler ensemble, Jeph faisait souvent référence à des films et des acteurs. Nous avons le même âge et avons grandi avec les mêmes influences venant du cinéma ou de la bande-dessinée, cela paraissait donc normal d’utiliser ces références communes.

Cover Art

Dernièrement vous faites beaucoup de couvertures. Lors de ce travail, essayez-vous de faire transpirer l’histoire dans votre dessin ?

Cela dépend de la situation. Parfois on me demande de refléter certaines notions dans la couverture, d’autres fois on me laisse plus de liberté et je fais ce que je veux. Lorsque je faisais Batman Rebirth, l’on m’avait dit au départ que mes couvertures allaient être à part de l’histoire, je n’aurais donc pas à me soucier de l’intérieur. Mais cela a vite cessé d’être le cas, je devais montrer certains personnages ; par exemple, ce devait être juste Batman et Catwoman…. La chose qui a été toujours vraie était le fait que Marc Chiarello, le responsable des couvertures chez DC, pensait qu’une bonne couverture devait être comme un poster de film. Elle doit dire quelque chose sur au moins les personnages. Elle ne doit pas forcément faire référence à une scène, mais l’on doit pouvoir deviner le sujet de l’oeuvre, savoir qui sont les personnages, l’ambiance de l’histoire…

Cela ne doit pas être facile de refléter tant de choses dans un dessin ?

Pas tant que ça. Vu que le sujet est Batman, cela est facile pour moi car le personnage m’est familier, j’ai donc beaucoup de facilité avec ce milieu. Certaines couvertures sont certes meilleures que d’autres, cela dépend beaucoup du confort, de l’affinité que j’éprouve avec le sujet. Mais je savais généralement comment réaliser ce qu’ils voulaient, et Marc me disait : « Je sais bien que ce n’est pas ce que tu aimes mais c’est ce que nous voulons. » Il y avait d’autres cas où c’était : « Batman au milieu d’une ruelle ? Ouais, bien sûr, c’est super ! » (rires)

What’s next ?

Pourriez-vous peut-être nous parler de vos prochains projets ?

J’ai des projets sur Batman pour lesquels je discute avec des scénaristes. Je ne peux pas vraiment en parler pour le moment. Pendant un moment je m’orientais plus vers des projets indépendants, où les droits me reviendraient (creators own). Je n’ai bien entendu pas abandonné ce projet et y travaille toujours. Je veux vraiment faire cela. J’aimerais écrire une série noire sans super-héros, mais je n’ai toujours pas trouvé le bon scénariste…

Je pourrais m’orienter vers Image, IDW ou ailleurs, mais ce serait ma propriété. En attendant, j’aime beaucoup travailler sur le thème de Batman. Pas dans l’univers du héros car je ne veux pas m’occuper de ce qui se passe en ce moment, je préfère réaliser des projets indépendants de l’histoire principale. Tout ce que j’ai fait avec Jeph était des histoires indépendantes et cela a été bien accueilli par les lecteurs.

Le temps des au-revoir.

Aimeriez-vous ajouter quelque chose d’autre ?

J’adore venir en France. Ma relation avec Olivier (Jalabert) et Album a changé beaucoup de choses dans ma vie. Cela s’est passé aux alentours de l’année 2000, lors de notre première rencontre.
Jeph et moi étions avec Marc Chiallo à la Comic-Con de San-Diego. Olivier vient à ma rencontre. Je ne savais pas qui était ce personnage. Est-ce que je peux lui faire confiance ?

Un inconnu, un Français, venant à votre rencontre, cela semble en effet étrange…(rire)

Ouais, cela semblait trop beau pour être vrai ! (rire) J’ai tout de suite été méfiant à son égard, mais cette rencontre a été géniale… J’adore Paris, j’ai visité d’autres parties du pays mais surtout Paris où j’adore revenir.

Et nous vous en remercions !

Et voilà, c’est fini. Il retourna dessiner pour ses fans et je partis à la recherche de ma prochaine interview. J’espère que cette petite conversation vous a plu et que Tim Sale n’a pas été trop ennuyé par mon insistance.
Restez à l’écoute et continuez à lire !

Propos recueillis et traduits par Aurélien Banabéra pour Album.

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